Description du projet
Ziggy s’arrêta en haut des escaliers, se tenant à l’entrée du toit-terrasse. Il prit un moment pour absorber la scène — la lumière déclinante du soir et les ombres douces s’étirant sur Amsterdam en contrebas. L’air était plutôt chaud pour un 4 mai, et une légère brise ébouriffa ses cheveux en désordre. Il aimait monter ici seul, après de longues journées au bureau ou en revenant de voyages d’affaires. C’était son refuge — un endroit pour réfléchir, s’échapper, se recentrer. Anna avait toujours respecté son besoin de ce moment de calme, d’espace pour respirer.
Ce soir, cependant, leur toit-terrasse avait été transformé. Anna avait fait des merveilles, métamorphosant leur lieu habituel en quelque chose d’extraordinaire. Sa petite amie avait un don pour créer une atmosphère, pour changer l’ordinaire en quelque chose d’unique. Juste un étage plus bas, leur appartement, qui portait sa touche indéniable, en était la preuve. Et maintenant, elle avait étendu son talent au toit pour cette soirée particulière. Il fit quelques pas pour regarder autour de lui.
Un grand lustre en cristal qu’il n’avait jamais vu était suspendu à une poutre métallique, se balançant doucement dans la brise au-dessus de lui. Cela semblait incongru sur un vieil immeuble de la ville comme celui-ci, mais Ziggy trouvait le contraste charmant. Son élégance ne faisait qu’ajouter à la magie du moment. Des guirlandes lumineuses se croisaient au-dessus formant une voûte étincelante et longeaient la rambarde. Elles projetaient une lueur tamisée sur la scène. La table de jardin, les chaises et les pots de fleurs avaient été déplacés d’un côté, agrémentés de coussins colorés, de lanternes blanches et de petits vases remplis de tulipes fraîches. Ziggy ne put s’empêcher de sourire. L’endroit respirait la créativité d’Anna.
De l’autre côté du toit, son ami Matt terminait d’installer la table de DJ, tandis qu’au centre, un large tapis vintage dans des tons roses couvrait le béton. Sûrement pour faire office de piste de danse, pensa-t-il. Les amis se saluèrent de loin d’un geste de la main. À côté de Matt se tenait Mila, le visage illuminé d’un grand sourire. Ils étaient probablement en train de discuter de la musique. Lorsqu’elle aperçut Ziggy, elle se précipita vers lui, les yeux brillants d’excitation, et l’embrassa chaleureusement.
C’était elle, la reine de la soirée. Elle fêtait son 16e anniversaire. Ziggy avait du mal à croire que sa sœur était presque une femme maintenant, arrivant désormais au-dessus de son épaule malgré ses 1m90. L’ovale de son joli visage était encadré par des boucles brunes comme les siennes, bien que celles de Mila soient un peu plus longues, coupées en un carré ondulé. Ils avaient tous deux hérité des cheveux de leur père. Mais tandis que les yeux de Ziggy étaient marrons, ceux de sa sœur étaient d’un vert-noisette éclatant.
Il avait onze ans de plus qu’elle. Ses parents avaient divorcé lorsqu’il avait huit ans et s’étaient tous les deux remariés par la suite. Mila était la fille de son père, issue de son second mariage. Elle était techniquement sa demi-sœur, mais cela n’avait jamais eu d’importance pour lui. Bien qu’ils n’aient pas grandi ensemble et malgré leur différence d’âge, Ziggy avait toujours fait partie de sa vie, prenant souvent le rôle de grand frère protecteur.
« Encore dans tes vêtements de travail ? » fit remarquer la jeune fille en fronçant les sourcils alors qu’elle s’écartait, avisant le costume sombre et la chemise blanche froissée qu’il portait.
« Je n’ai pas encore eu le temps de me changer. Je voulais d’abord voir ce qu’Anna avait fait de l’endroit. »
« Magique, n’est-ce pas ? » dit-elle en ouvrant les bras et en faisant un petit tour sur elle-même. « Tu as de la chance de l’avoir dans ta vie, Zigzag. » Elle ébouriffa les cheveux de son frère en riant, utilisant le surnom qu’elle lui avait donné depuis qu’elle avait cinq ans. « Où est-elle d’ailleurs ? »
« Elle se prépare en bas. En parlant de ça, laisse-moi te regarder. » Sa petite sœur portait une courte robe fleurie verte qui flottait doucement autour de sa silhouette élancée, accompagnée de sandales à talons hauts. Elle était superbe.
« Waouh ! Je vais devoir passer ma soirée à repousser tous tes admirateurs ! » dit Ziggy avec un sourire malicieux.
Alors que frère et sœur riaient ensemble, les premières notes familières de « You are the sunshine of my life » de Stevie Wonder retentirent soudainement. Leurs sourires disparurent instantanément, tous deux frappés par la même pensée. C’était la chanson spéciale que Mila partageait avec leur père. Depuis ses 5 ans, et à chaque anniversaire depuis, elle demandait toujours la même chanson. Quand la musique jouait, ils dansaient — les petits pieds nus de Mila posés délicatement sur ceux de son père. Aucun d’eux ne l’avait écoutée depuis que leur père était décédé trois ans plus tôt.
« Il aurait été si fier de toi, de la jeune femme que tu es devenue, » dit doucement Ziggy.
Mila resta silencieuse, mais ses yeux brillants parlaient pour elle.
« Dansons, s’il te plaît, » murmura-t-elle à son frère. « D’accord, mais à une condition. » Il fit un signe en direction de ses chaussures. « Je tiens à mes orteils ! » ajouta-t-il avec un sourire espiègle. Elle baissa les yeux vers ses talons hauts et sourit avant de les enlever rapidement, perdant instantanément sept centimètres. À côté de la silhouette imposante et des larges épaules de Ziggy, elle paraissait bien plus petite maintenant. Puis, elle prit sa main, posa ses pieds nus sur les chaussures en cuir de son frère, et ensemble, ils commencèrent à bouger doucement au rythme de la musique, le lustre se balançant légèrement au-dessus d’eux. Des larmes coulèrent silencieusement sur les joues de Mila. Aucun d’eux n’échangea un mot pendant toute la chanson.
Pendant qu’ils dansaient, des souvenirs d’enfance de Ziggy refirent surface — les absences récurrentes de son père, sa sévérité, l’impatience qu’il montrait à son égard, et les disputes constantes entre ses parents. Ziggy avait toujours eu l’impression de passer en dernier, que son père était trop absorbé par son travail pour lui prêter attention. S’il devenait un jour père, il se promit que les choses seraient différentes. Il voulait être pleinement présent, vraiment impliqué — pour son enfant comme pour Anna. Mais sa propre carrière exigeait tout de lui. Il passait des heures interminables au bureau, en réunion ou en voyages d’affaires, et ne donnait pas à Anna l’attention qu’elle méritait. C’était une perle, et parfois il s’inquiétait. Était-il en train de répéter le schéma de son père ? Anna finirait-elle par se lasser de l’attendre, de ne recevoir que des miettes de son temps — comme lui l’avait vécu avec son père ?
Elle lui avait récemment dit qu’elle était prête à devenir maman. Elle lui avait demandé s’il pouvait le considérer, mais il avait esquivé la question. Au fond de lui, il savait que c’était un choix qu’il devait faire — un choix qui affecterait non seulement sa vie, mais aussi celle de leurs futurs enfants. Être parent était une responsabilité que l’on assumait à deux, et il ne voulait pas répéter les erreurs qui lui avaient causé tant de douleur en grandissant.
Ziggy jeta un coup d’œil à l’expression triste de sa sœur. Elle avait connu un père différent — un homme présent et attentif. Depuis la naissance de Mila, leur père avait changé, réorientant ses priorités pour se concentrer davantage sur sa famille. Ziggy ressentit de la peine à cette pensée, mais ce n’était pas de la jalousie. Peut-être que leur père avait simplement atteint un autre stade de sa vie à ce moment-là. Ziggy devait-il attendre pour que le même changement s’opère en lui ? Et combien de temps cela prendrait-il ?
La voix de Mila brisa le fil de ses pensées. La chanson était terminée, et Matt jouait désormais un morceau plus rythmé de Harry Styles.
« Merci, » dit doucement Mila à son frère avant de l’embrasser sur la joue. « Merci d’être là, » répéta-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Ziggy ne savait pas si elle parlait de ce moment précis ou du fait qu’il ait toujours été là pour elle — la soutenant à sa manière tout au long de sa vie.
« Quand les invités doivent-ils arriver ? » demanda-t-il, touché, détournant volontairement la conversation.
« Bientôt, » répondit Mila en jetant un coup d’œil à sa montre. « Et je pense que mon maquillage est ruiné maintenant ! »
« Va retrouver Anna dans la salle de bain. Je suis sûr qu’elle t’aidera à l’arranger en un rien de temps. »
Alors que Mila descendait précipitamment, Ziggy s’appuya contre la rambarde, ses yeux rivés au-dessus des toits, maintenant baignés dans les teintes dorées du coucher de soleil. Il ne prêtait plus attention à la musique en fond sonore.
« Tu réfléchis encore trop, » dit une voix à côté de lui.
Ziggy se tourna et trouva Anna, rayonnante, ses yeux brillants scrutant son visage avec un sourire amusé. Elle avait toujours eu une façon de le comprendre, même lorsqu’il ne disait pas un mot.
« Je ne réfléchis pas trop, » répliqua-t-il, bien que sa voix ne le convainquît pas lui-même.
« Mais oui, bien sûr, » taquina Anna, se glissant à côté de lui et s’appuyant sur la rambarde, son regard s’attardant sur le profil ciselé de son compagnon.
« Je pensais que Mila était avec toi, » dit-il en regardant autour d’elle.
« Ce n’est plus une petite fille, tu sais, » rit Anna. « Et puis, elle est plus douée que moi en maquillage. » C’était vrai — Anna était une beauté naturelle qui utilisait le maquillage avec parcimonie.
« Tu crois que je suis trop protecteur parfois ? » demanda Ziggy. « J’essaie peut-être de compenser l’absence de Papa dans sa vie. »
Anna pressa son épaule, son toucher offrant un soutien silencieux. Elle savait toujours quand parler et quand se taire. C’était l’une des choses qu’il appréciait le plus chez elle.
« Qu’est-ce qui te tracasse, mon cœur ? » demanda-t-elle doucement. Ziggy la regarda, la regarda vraiment cette fois.
« Notre propre famille, celle que tu veux fonder avec moi, » dit-il après un long silence. « Ne te méprends pas, je veux être père… un jour. Mais je ne suis pas sûr que ce jour soit maintenant. J’ai déjà du mal à trouver assez de temps pour toi, alors imagine avec un enfant ! Et je sais trop bien ce que ça fait d’avoir un père absorbé par son travail. »
« Est-ce que tu es heureux, Ziggy ? »
Il la regarda, confus par sa question.
« Bien sûr que je le suis. J’ai une femme incroyable que j’aime profondément à mes côtés. Nous vivons dans un superbe appartement au cœur d’Amsterdam, nous pouvons acheter ce dont nous avons envie, nous avons des amis formidables, nous voyageons… »
Anna secoua la tête, l’interrompant doucement. « Tu sais que ce n’est pas ce que je veux dire. »
Ziggy hésita, les mots de sa compagne faisant leur chemin dans son esprit. Soudain, les lumières scintillantes d’Amsterdam devant lui semblèrent lointaines, presque déconnectées de sa vie.
« Je ne sais pas, » admit-il, tout bas. « Je me suis tellement concentré sur ce que je devrais vouloir, sur ce qui paraît bien. Mais… je ne suis plus sûr de rien. »
Anna resta silencieuse, lui laissant l’espace pour réfléchir.
« Il y a toujours quelque chose à faire, » continua Ziggy, plus pour lui-même maintenant. « Une autre réunion, un autre vol, un autre accord, une autre case à cocher sur l’échelle du succès… »
Il jeta un coup d’œil à sa sœur Mila, riant avec ses amis de l’autre côté du toit. Elle avait eu un père présent, aimant, attentif, contrairement à l’homme que Ziggy avait connu — celui toujours absorbé par son travail. Puis, il pensa à Anna, et à leur vie ensemble. Quel était le sens de tout cela s’il n’y participait pas pleinement ?
Il regarda le visage bienveillant de sa petite amie. « Je me suis tellement concentré sur le fait de ne pas échouer, » dit-il en déglutissant, « mais en faisant cela, je pense que j’ai échoué là où c’est le plus important — ici. Avec toi. Et en m’engageant vraiment avec toi. »
Le regard d’Anna s’adoucit. « Il n’est pas trop tard pour changer ça, mon cœur. Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? » demanda-t-elle, attentionnée.
Ziggy soupira, puis la regarda, une résolution se formant dans son esprit.
« Je pense qu’il est temps de ralentir. De réévaluer ce que je poursuis. Peut-être même de… chercher un autre travail. Quelque chose qui me laisse de la place pour être… le genre de partenaire et de père que je veux être. »
Le sourire d’Anna était plein d’espoir. « Je pense que c’est un bon début. Nous n’avons pas à nous précipiter, mais nous pouvons commencer à réfléchir à la vie que nous désirons construire ensemble. »
Pour la première fois depuis longtemps, Ziggy sentit qu’il n’était plus en mode pilote automatique. Prenant la main d’Anna, un sentiment de clarté l’envahit. Ils se tenaient côte à côte, contemplant la ville qui s’étendait devant eux. Il ne s’agissait pas de choisir le chemin parfait — mais d’avancer, main dans la main, avec le bon partenaire.
« Viens, dansons, » dit Anna, tirant doucement Ziggy vers la piste de danse où quelques adolescentes se déhanchaient déjà au rythme de la musique.