Description du projet

un petit coup à la porte

Je suis en train de lire un roman à l’eau de rose, blottie dans une couverture sur mon canapé, toute seule, quand on frappe à la porte. Un petit coup tout doux. Je doute même de l’avoir entendu, car c’est si subtil. Mais là, à nouveau, mes oreilles ne peuvent me tromper. Me levant à contrecœur, j’ouvre la porte d’entrée, laissant pénétrer un peu d’air hivernal. Personne derrière. Il fait sombre dehors, un rayon de lumière de mon couloir perce la nuit me permettant de voir mon allée vide. On peut à peine distinguer les buissons de chaque côté. Pantoufles aux pieds, j’avance jusqu’à la rue. Elle est déserte. Intriguée, je rentre et me persuade que ça doit être le vent ou des craquements du bois de cette maison vieillissante. Alors que je suis sur le point de m’installer à nouveau sur le canapé, je sens une présence près de moi. Un frisson se répand le long de ma colonne vertébrale, les poils de mes bras se dressent en chair de poule. Mon instinct est en mode alerte. Je regarde autour de moi, mais ne vois rien. Je prends une profonde inspiration pour me calmer et me dirige vers l’interrupteur pour allumer le plafonnier. Je veux m’assurer que personne ou rien ne se cache dans l’ombre. C’est là que je la remarque. Une souris beige assise sur l’un des coussins en velours du canapé. Elle me regarde avec une expression éveillée sur sa frimousse. Les souris sont-elles intelligentes ? Je ne sais pas pourquoi cette pensée a surgi dans mon esprit. Je m’approche lentement. Elle ne bouge pas, mais m’observe. Comme je le fais souvent avec les animaux domestiques, je m’adresse à elle à à haute voix :

« D’où viens-tu, petite ? Avais-tu froid dehors ? »

Un « Oui » d’une voix aiguë ténue me répond. Est-ce que c’est mon imagination qui me joue des tours ? La voix continue comme si la souris entendait mes pensées :« Non, tu ne rêves pas. Je parle. »

« Mais… comment est-ce possible ? »

« Je ne suis peut-être pas ce que je semble être… As-tu des fruits ou des graines ? » demande-t-elle en changeant de sujet.

« J’ai une banane dans la cuisine. Ça irait ? »

« Oui, j’adore les bananes. »

Je vais en chercher une dans le saladier sur le comptoir, et après l’avoir pelée, j’en mets un morceau dans une assiette à dessert. Je place la collation près du rongeur qui est resté assis dans la même position.

« Merci. » Elle sourit. Je ne savais pas que les souris pouvaient exprimer des émotions sur leur minois.

« Je ne suis pas une souris ordinaire, » glousse-elle doucement en lisant toujours dans mon esprit, avant de se plonger dans son repas avec délectation. Un sourire se dessine aux coins de mes lèvres en la voyant savourer son plat. Assise sur le deuxième coussin, j’essaie désespérément de ne penser à rien d’autre qu’au moment présent, de peur qu’elle devine mes réflexions.

« J’avais faim, merci », dit-elle lorsque l’assiette est vide.

« Tu en veux plus ? »

« Non, c’est bon, merci. »

« Alors, si tu n’es pas ce que tu sembles être, qu’est-ce que tu es ? » laisse-je échapper, ne pouvant plus contenir mes questions.

« Disons que je suis ton ange gardien. C’est ainsi que la plupart des humains aiment nous appeler. Je t’arrête avant que tu ajoutes quoi que ce soit, je sais, je n’ai pas ailes ni de halo et je ne suis pas une grande lumière blanche. Toutes ces images sont créées par les humains. Nous pouvons en fait prendre la forme que nous voulons dans la matière, alors que nous vivons dans une dimension que vous n’êtes pas capables de percevoir. J’ai décidé d’apparaître sous cette forme, car je ne l’ai pas fait depuis longtemps. J’ai deviné que tu trouverais ça mignon, et… j’avais envie de me distraire un peu avec ton chat, » confia-t-elle, amusée.

Au fait, où est Sammy ? Elle doit dormir à l’étage. Elle adorerait jouer avec ma nouvelle « amie » si elle était ici maintenant. Malgré son « grand âge », je suis sûre que ma compagne ne la laisserait pas indifférente. Instinct de félin.

« Mais… pourquoi as-tu frappé ? » je continue pendant que mon cerveau enregistre les informations données. Les anges gardiens n’ont pas besoin de taper aux portes.

« Parce que c’était divertissant. Beaucoup d’esprits ont ce que vous appelleriez de l’humour. Et j’ai attiré ton attention en le faisant. »

« Suis-je en difficulté, comme tu as dû venir ici pour me parler ? »

« Non. » Elle ne dit rien de plus, laissant un long silence qui fait bousculer mes idées dans la tête. Cela la fait rire à nouveau. « C’est si facile de te taquiner. Je suis désolée », dit-elle en se calmant. « Tu n’es pas en difficulté ; tu vois les choses comme des difficultés. Trop concentrée sur tes propres problèmes pour remarquer les signes que nous t’avons envoyés. Tu sais, il existe un moyen de s’échapper de chaque situation contrariante, tu as le contrôle. Mais tu te complais à rester dans ta zone de confort même si c’est si inconfortable. Je ne comprends pas pourquoi les humains appellent cela “zone de confort”, d’ailleurs… enfin, tu te sens coincée dans un travail que tu n’aimes pas et tu ne fais rien pour en sortir. Ouvre-toi aux lueurs d’opportunités lorsqu’elles se présentent et suis le fil. Tout ce que tu veux est de l’autre côté de la peur. »

« Oui, tu as raison, j’ai peur d’agir. Tergiversant, je m’engourdis et m’éparpille pour ne pas prendre de décisions. Je suis la reine de la procrastination. Je me perds dans des activités, toujours occupée, ou j’utilise des films, des séries, les médias sociaux, ou des livres pour échapper à ma réalité. »

« Serais-tu capable de marcher maintenant si, quand tu étais toute petite, tu t’étais arrêtée après avoir chuté la première fois ? Malgré ta douleur et ton appréhension de retomber, tu as essayé, encore et encore, tu t’es remise sur tes pieds, jusqu’à ce que tu réussisses. Ahhhh, toutes les expériences que les enfants font sans peur ou en dépit de leur peur et que les adultes perdent en cours de route ! »

« J’aime ton analogie. » Mon imagination soudainement peint l’image d’un groupe d’hommes et de femmes qui ont l’air idiots, certains rampant sur le sol et d’autres à quatre pattes, car ils ne savent pas marcher. Je ris et ma compagne aussi.

« C’est drôle, non ? La peur peut bloquer les gens dans des situations comiques vues de l’extérieur. Lorsque ton esprit ou ton cœur s’emballe rongé par l’anxiété, pense à moi. Considère-moi comme ta voix intérieure, ton intuition. En cas de doute, écoute cette voix et fais-lui confiance. Tu as tout en toi… Maintenant, où est Sammy ? » Elle me fait un clin d’œil. « Elle a besoin de faire de l’exercice. »

Elle saute sur le parquet, court et monte rapidement les escaliers malgré sa petite taille. Quelques secondes plus tard, j’entends un miaulement rauque et un bruit de poursuite provenant du premier étage. En pilote automatique, je lave l’assiette à dessert, la remets dans le placard, et avale le reste de la banane, mes pensées déambulant dans de nombreuses directions. J’éteins le plafonnier et m’assois sur le canapé. Je n’entends plus d’agitation au-dessus de ma tête, mais je suis sûre que ça ne veut pas dire que Sammy a mangé mon ange gardien. Un sourire se dessine à nouveau sur mes lèvres. Elle s’est divertie et est partie maintenant.

#

Je me réveille, mon livre sur les genoux, affalée sur le sofa. Ma chatte dort sur le coussin où se trouvait la souris il y a quelques instants. Ou y avait-elle été vraiment ? Tout cela n’était-il qu’un rêve ? J’entends un petit coup tout doux dans l’entrée. Pas besoin de me lever cette fois. Mon ange gardien a attiré mon attention en frappant à la porte de mon esprit. L’attention que je dois apporter sur moi-même pour sortir de ma zone de confort « inconfortable ». Avec un gentil rappel tous les matins quand je mangerai ma banane journalière.

« Tu t’es amusée, Sammy ? » Je caresse son ventre blanc exposé. Elle ouvre un œil et le referme immédiatement dans un soupir.